Festin, Baston & Vin : Bienvenue en Gaule !

le vin en gaule

En France, y a des domaines pour lesquels on n’est pas trop mauvais : la bouffe, les manifs, le luxe… Mais aussi le vin bien sûr ! Si en général, on sait vaguement que le sang de la terre est arrivé en Gaule par l’intermédiaire des Grecs et des Romains, très peu conaissent la véritable histoire du pinard en France. Celle de festins, de guerres, de dieux et de millions d’amphores troquées contre des esclaves. Aujourd’hui, je vous la relate à travers le premier Gaulois ivre au vin, et de ses contemporains qui vont complètement dérailler par amour déraisonnable pour cette nouvelle boisson. C’est la grandeur de notre patrimoine vinicole et de ses ivrognes que je vous conte là !

Note : La Gaule n’est pas un peuple uni, plutôt un paquet de clans indépendants, qui partagent cependant des croyances et pratiques culturelles semblables. Pour des raisons pratiques, dans ce texte, nous appellerons cela la Gaule et non les Gaules.

La première gorgée gauloise de vin

Contrairement à ces mauviettes grecques et romaines, tu bois sans rajouter d’eau dans ton verre.

Imagine-toi Gaulois, de la caste des guerriers. Tu t’appelles Matugenos, ce qui signifie « le bon » ou « le favorable ». On est en 650 avant le type de Nazareth. Tu vis avec ton clan. Pas encore dans un Oppidum, ces premières villes entourées par des remparts de terre, de pierres et de bois. Cela arrivera dans quelques siècles. Pour l’instant, t’as pas encore compris que construire des murs, peut te protéger… On est au début de l’âge du fer, tu commences à maitriser la métallurgie. T’en fais un tas d’outils, des armes et des objets du quotidien, comme un rasoir. Et oui, même si les Grecs et les Romains te prennent pour un sauvage, t’es plutôt coquet. T’aimes bien te saper, te contempler dans le miroir, prendre soin de toi. Notamment de tes cheveux, avec ce savon à la cendre que t’as inventé, afin que tes mèches blondes resplendissent. Beau gosse quoi… !
T’es peut être fringant, mais t’aimes aussi te bourrer la gueule. Contrairement à ces mauviettes grecques et romaines, tu bois sans rajouter d’eau dans ton verre. Et en grande quantité. Tes ivrogneries résonnent dans toute l’Europe. T’as une réputation à tenir. En Gaule, on boit à tous les repas, pour célébrer les dieux, discuter politique, avant et après chaque bataille, et dès que l’occasion se présente. Car avec l’alcool, contrairement à l’eau, y a moins de risque de choper un sale truc. Pour l’instant, tu ne connais que la Cervoise (bière à base de froment), la Corma (une bière d’orge parfois mélangée avec du miel) et l’hydromel. Depuis pas longtemps, de véritables brasseries s’installent un peu partout dans le paysage de tes contrées. Tes semblables se professionnalisent, on s’éloigne de l’esprit DIY. On peut y brasser toutes les plantes contenant de l’amidon, mais niveau goût, ce n’est pas toujours une réussite. Du coup, on mélange ça avec ce qu’on trouve pour que ça passe. Car monsieur devient de plus en plus exigeant. Ta femme récupère toujours l’écume des binouzes que tu te descends, afin d’en faire un produit de beauté. Esprit zéro déchet.

Ce soir, y a une grande fête. Mais seuls les guerriers aristocrates de ton espèce sont invités. C’est le grand chef qui l’a organisée. Histoire d’assoir son autorité et d’exhiber ses muscles. Il a un cadeau venu des Dieux, qu’il a dit. Rasé, peigné, habits cintrés, tu te pointes à 16 heures pour le début des festivités. T’espères que Corius, le druide du coin, va ramener quelques plantes magiques, pour finir la soirée dans les bois en communiquant avec les esprits…
Y a une grande table ronde, tu sais ou t’assoir, tout est codifié. Pour l’apéro, en échange de quelques pièces, ce fayot de barde commence à jouer de la musique en chantant les louanges du patron. On ouvre (ou plutôt on sabre comme le veut la tradition) une des nombreuses amphores de bière et d’hydromel posées sur le côté. Niveau qualité tise, c’est ce qui se fait de mieux dans le coin. En comptant les amphores, on s’apercevrait vite qu’il y en a assez pour survivre plusieurs mois. Par contre, ces petites amphores à fond conique de 6 à 8 litres, c’est bizarre, t’en avais jamais vu avant. Bref… Les verres se vident. Les convives discutent politique, baston et recette savon. La faim se fait ressentir. C’est l’heure du bain de sang. On ramène des dizaines d’animaux à sacrifier selon les règles de l’art (porcs et moutons, mais pas question de toucher à un sanglier, c’est un animal sacré. Astérix nous a menti…). Sous la surveillance de Corius, ils sont égorgés sur la pierre de l’autel en guise d’offrande aux Dieux. Les têtes décapitées, on les accroche en hauteur en forme de guirlande. C’est le style déco de l’époque. Le reste de l’animal est grillé à la broche. Un doux parfum qui alerte tes babines. Même si tu kiffes ça, tu ne manges pas si souvent de la barbaque. En mode flexivore. La plupart du temps, t’en bouffes seulement pendant les fêtes ou avant d’aller à la castagne, car la viande a des propriétés magiques qui confèrent force aux guerriers.

Cet article est un extrait de la newsletter mensuelle et gratuite « On boit quoi ? », lue par plusieurs milliers de personnes chaque mois, et écrite par Merlin Salerno.

Pendant le repas, le grand chef prend la parole. Tout le monde se tait. Des marchands étrusques, un peuple voisin des Romains (qui les zigouilleront bientôt) et excellents métallurgistes, ont débarqué y a quelques jours par bateaux pour vous acheter des métaux. Chacun possédant sa propre monnaie, sans bureau de change à l’époque, mais informés sur la réputation de ton peuple, pour effectuer le deal, ils ont apporté des petites amphores remplies d’un alcool fait à partir de raisin. Du vin. Tu connais déjà la vigne, c’est une liane sauvage qui pousse dans le coin, mais, pour toi, elle n’a pas grande utilité. Tu ne te doutais pas qu’en la domestiquant, tu pouvais en faire un truc sympa. Couleur sang, épais, on te sert cet étrange breuvage dans une petite coupe de 4,5cl. A peine un shot. Mais tu vas t’en descendre pas mal. D’ailleurs son taux d’alcool plus élevé que la bière te rend plus vite ivre. Il ne t’en faut pas beaucoup plus pour te charmer. Et avec son goût unique, parfumé, suave, pas de doute, le vin est une potion magique qui confère force aux guerriers et qui rapproche des divinités. Pour toi, c’est une révélation. Tu penses un instant à tout quitter sur un coup de tête pour devenir vigneron… On assiste là, à l’éclosion d’un amour inconditionnel et irrationnel pour le pinard qui va changer radicalement tes débauches, ton quotidien et le paysage de tes contrées. Mais aussi te faire perdre la raison et ta souveraineté. Même si cela va prendre encore un peu de temps…

vin gaule

Le développement du vin, de la vigne & du tonneau en Gaule

Car même si tu as soi-disant perdu la guerre, tu restes un Gaulois. Fier et alcoolique. De ce décret, tu t’en fais une éponge de mer attachée à un bâton (le papier toilette de l’époque).

Vers – 600 ans av JC, les Phocéens débarquent sur un bout de terre en méditerranée, pour y fonder un comptoir commercial. Massalia. A jamais les premiers, c’est le début de la culture de la vigne en France. Car, comme à leurs habitudes, ils ont ramené avec eux de l’huile d’olive, des oliviers, du vin et de la vigne. C’est le kit de survie de base du Grec. Les vignobles autour de Marseille et Narbonne se développent, tu commences donc à boire du vin français (et à consommer de l’huile d’olive dont tu raffoles aussi, ça change de la graisse d’animal pour cuisiner). Le pinard ne vaut pas encore celui d’Italie, mais faut bien se lancer.
Au fil des années, le commerce entre les peuples se développe, et afin de calmer ta frénésie pour le sang de la terre, les marchands greces, étrusques et romains envoient bateau sur bateau remplis d’amphores. Chaque bateau peut contenir jusqu’à 10 000 amphores. Entre le I er et le II ème siècle av JC, t’en aurais descendu à peu près 1 million… ! Pour cela, t’échanges des métaux, des habits car ils sont assez réputés à l’étranger (les prémices de la haute couture française ?), mais tu peux même aller jusqu’à troquer un esclave contre une amphore, quand il est vraiment bon. Il faut clairement faire partie du gratin de la société gauloise pour pouvoir se payer du vin. C’est d’ailleurs une marque de puissance que t’exhibes fièrement. Comme dans n’importe quelle civilisation du monde, les prolos restent à la bière.

En -118 av JC, les Romains sont en marche, dorénavant, toute la côte méditerranéenne leur appartient. Pour certaines parties, ce n’était pas très dur à conquérir. Pas mal de tes compatriotes guerriers étaient encore bourrés de la veille à l’heure de la bataille, lit-on dans les rapports de guerre. Pas étonnant que Cicéron dise de toi « C’est une race portée sur le vin » … T’en est même un peu fier, mais tu ne pleureras pas son assassinat.
A cette même période, le monde vinicole connait pas mal de changements. Les artisans de ton bled commencent, avec talent, à confectionner des tonneaux en bois. On pense que c’est toi qui as inventé la barrique, pourtant t’as piqué l’idée aux Rhètes. Un peuple habitant dans les Alpes entre la Suisse, l’Italie et l’Autriche, mais dont personne ne retiendra l’histoire après que les romains soient passés par là. Au début tu fais ça avec du sapin, avant de capter, quelques siècles plus tard, que le chêne est plus résistant et moins résineux (c’est dû aussi à la découverte des vertus du tanin dans la vinification). Lyon et Bordeaux sont les principaux centres de production de tonneaux en Gaule (chacun est libre d’en tirer les conclusions vinicoles actuelles qu’il souhaite). Les tonneaux servent surtout à conserver la cervoise, l’eau, des trucs solides, et accessoirement d’arme. Quand les Romains viennent tâter militairement le terrain, t’en remplis de suif, que t’envoies enflammés contre leurs structures en bois. L’histoire démontrera que ce n’est pas son utilité la plus efficace… Tes ennemis, un peu plus malins, s’en servent pour transporter le vin (c’est plus solide et pratique qu’une amphore en argile). Soit par bateau, soit par voie terrestre fixé sur un chariot que l’on nomme « chariot citerne » (400 litres de pur bonheur). Car même si tu te bats pour ne pas être romain, cela ne t’empêches pas de leur acheter du vin, tu connais tes priorités. Pour l’instant, c’est le pinard de base que l’on transporte en barriques. Le très bon, les italiens se le gardent pour eux. Il se fait et se conserve encore en amphore. Il faut attendre le V ème siècle pour que cela change complètement.

Pendant que les Romains sont occupés à choper et crucifier le Christ, plusieurs facteurs permettent le développement d’un vignoble de qualité en Gaule. Premièrement, tu te rends compte qu’il serait plus intelligent de produire du vin que d’échanger tous tes esclaves. Deuxièmement, c’est la découverte de cépages plus adaptés à ton climat, tels que l’Allobrogica (qui peut murir à la gelée), l’Alba Hevia (qui passe la fleur en un jour, ce qui le protège des risques) et l’Helvelecana (qui résiste à la sécheresse et au froid). Enfin, c’est parce que tu maitrises maintenant l’orientation de la vigne et la technique de greffage (t’es plutôt doué pour cela). Plus rien ne peut donc t’empêcher de réaliser ton rêve : devenir vigneron. Excité, on rentre, à partir de ce moment, dans une période de propagation intensive de la vigne. Ce sont les véritables prémices du vignoble français (Rhône, Bourgogne, Bordeaux, etc.).
Les Romains, se rendant compte que tu commences à faire du bon pinard, que tu ne leur en achètes plus trop, ces salauds (dont tu es maintenant totalement tributaire) vont mettre en place les premières mesures protectionnistes en termes d’alcool. En l’an 92, un décret est établi visant l’interdiction de nouvelles plantations et l’arrachage de la moitié du vignoble gaulois. Mais cela te fait sourire. Car même si tu as soi-disant perdu la guerre, tu restes un Gaulois. Fier et alcoolique. De ce décret, tu t’en fais une éponge de mer attachée à un bâton (le papier toilette de l’époque). Personne ne peut empêcher le droit d’un peuple à disposer de sa propre ivresse. Tu as rendez-vous avec ta destinée vinicole… !

Article écrit par

Avatar de Merlin Salerno

ENCORE ASSOIFFÉ.E ?

  • biere de la rentrée

    La biere pour oublier la rentrée !

    Chaque vendredi, chez Les Soiffards, on te partage une bouteille (vin, bière, spiritueux…) qui nous a fait kiffer cette semaine. Histoire de bien commencer le week-end ! Biere et septembre : soyons heureux ! Vendredi 6 septembre 2024… ça fait une semaine voire deux que vous êtes retourné au travail !…

  • triple IPA

    Triple IPA : une soupe de houblon parfaite pour l’hiver !

    Comme tous les amateurs de bières artisanales, vous êtes probablement tombés dans la IPA. On devient fou de ça, on teste tout et on finit par partir dans les extrêmes. On veut du houblon, de la puissance, de l’arôme, plus d’alcool… et on arrive bientôt à : la Triple IPA !…

  • le vin en gaule

    Festin, Baston & Vin : Bienvenue en Gaule !

    En France, y a des domaines pour lesquels on n’est pas trop mauvais : la bouffe, les manifs, le luxe… Mais aussi le vin bien sûr ! Si en général, on sait vaguement que le sang de la terre est arrivé en Gaule par l’intermédiaire des Grecs et des Romains, très…

  • rap & alcool

    Alcool & Rap : L’Amour du Business !

    L’alcool, comme toute substance psychoactive, a toujours été un fidèle compagnon pour l’artiste dans sa quête d’inspiration. Poètes, rappeurs, chanteurs, écrivains et peintres ont le levé de coude facile. D’ailleurs, que serait un tableau de Vincent van Gogh sans absinthe ? Ou une nouvelle de Bukowski sans mauvais vin de supérette…

  • rhum a offrir

    Le Rhum à Offrir à Quelqu’un de Bien !

    Chaque vendredi, chez Les Soiffards, on te partage une bouteille (vin, bière, spiritueux…) qui nous a fait kiffer cette semaine. Histoire de bien commencer le week-end ! Rhum Blanc d’exception de petite production Tu cherches une bouteille de Rhum à offrir pour quelqu’un de bien ? Un pote qui t’a sorti…

  • East Coast IPA

    East coast IPA : la plus fruitée des IPA

    Ce qu’il y a de bien dans l’univers des bières IPA, c’est qu’il y en a pour tous les goûts. Amertume, notes florales, fruits tropicaux, bières légères ou denses, vous trouverez forcément un style qui vous conviendra. Et il y en a un qui fait l’unanimité depuis quelques années : les…