On situe l’existence des Sumériens entre -3400 et -2000 av JC, dans la région sud de la Mésopotamie, en Irak actuel. Composée de plusieurs villes, Sumer est la première civilisation du monde. Là où tout a commencé à se barrer en couille. Les Sumériens savaient produire et stocker de la bouffe en grosse quantité. Assez pour que l’ensemble de la population n’ait pas forcément besoin de travailler dans les champs ou élever des bêtes Du coup, certains deviennent artisans (fabrication de vêtements, d’outils, de jarres, de briques…). D’autres, les plus malins, se sont imposés contremaîtres ou représentants de l’Etat. Car pour organiser tout ce nouveau bordel, il a fallu créer une administration. Et qui dit administration, dit écriture. Surtout pour noter les reconnaissances de dettes. C’est donc la fin de la préhistoire et le début de l’histoire (écrite).
Le premier style littéraire des hommes étaient ainsi des reconnaissances de dettes inscrites sur des tablettes d’argile. Des sortes de pictogrammes pointus qui représentent ce dont on est redevable. Histoire de s’en rappeler. Car à cette époque, la monnaie n’existe pas, c’est un système de troc. Et en plus de l’orge, des épices ou de l’or, qu’est ce qui s’échange le plus à Sumer ? La bière. C’est donc, de fait, la première trace écrite de l’humanité.
Quand on connait l’histoire de ce peuple, ce n’est pas vraiment étonnant. Selon certains universitaires, l’homme se serait même sédentarisé pour cultiver l’orge, non pas pour cuire du pain, mais pour pouvoir brasser. Et à Sumer, la bière est omniprésente. Elle est sainte et sacrée. Rois, prêtres, prolos, tout le monde se biturent la gueule. Pas de mention « L’abus d’alcool… ». Plutôt un proverbe local qui dit « Peureux comme un homme qui n’est pas habitué à la bière ». Même le premier poème reconnu de l’histoire (que l’on doit à une femme sumérienne du nom d’Enheduanna) parle de céréales fermentées. On vénère chaque jour Ninkasi , la déesse de la bière, ou plutôt « la Dame qui remplit la bouche ». Boire ou manger, on ne fait pas vraiment la différence. Et d’après un mythe de l’époque, la civilisation serait apparue à la suite d’une nuit de beuverie et de baise entre le Dieu de la sagesse et la déesse de la fornication. Cette dernière aurait profité que son alcoolyte s’endorme beurré pour lui voler sa sagesse et l’apporter sur terre. A méditer…
Cet article est un extrait de la newsletter mensuelle et gratuite « On boit quoi ? », lue par plusieurs milliers de personnes chaque mois, et écrite par Merlin Salerno.
Comme tu l’as compris, à l’époque, l’ivresse est le quotidien des sumériens. Le sport national. Les rois festoient à la binouze (mais aussi au vin) dans les palais. Les prêtres trinquent avec les dieux dans les temples. Mais qu’en est-il du sumérien moyen ? Et ben… il va au bar. Tout simplement. Ou plutôt, dans une taverne. Les bars, comme on les connait aujourd’hui, ne sont apparus que des millénaires plus tard. Mais c’est une autre histoire que je raconterai dans une prochaine Newsletter…
A présent, mets-toi dans la peau d’un sumérien lambda. Tu t’appelles Nuḫāšu (à traduire par «Prospère »). T’es un simple ouvrier de la cité d’Ur, la plus grande ville que le monde n’ait jamais connue jusque ici (environ 65 000 habitants). Tu viens de finir ta journée de boulot. Malheureusement, tuer le contremaitre n’est plus trop une option, car tu es civilisé (un nouveau concept), y a des lois à respecter. Le code d’Ur-Namma punit le meurtre, le vol, l’adultère et le viol par la mort. La base du vivre ensemble. Mais pour supporter cette nouvelle vie en société, ouprofiter des vices que la vie citadine offre, tu te diriges vers une des nombreuses tavernes du centre-ville. Devant, y a pas mal de prostituées. Elles sont dénudées, tu croises le regard d’une, mais tu n’es pas encore assez ivre pour succomber à la tentation. Tu passes la porte, ça sent les céréales fermentées. La bière est brassée sur place. Le concept hipster de brew pub est né. Parfois, on peut aussi trouver un peu de pinard, quand on est dans un endroit chic. Mais ce n’est pas dans tes moyens… A l’intérieur, ça pue aussi la testostérone, y a pas beaucoup de femmes. Sauf la patronne. Tous les propriétaires de ces établissements appartiennent au sexe féminin. Mais elles n’ont ni tatouages ni pull Patagonia. Le brassage de la bière est une tâche domestique. Un truc de bonne femme.
A cette époque, faire de la bière est assez simple. N’importe qui peut s’improviser brasseur. Il suffit de moudre et faire bouillir les céréales, puis de les laisser à l’air libre. On ne comprend pas trop pourquoi (la connaissance des levures ne viendra qu’avec Pasteur et le vin jaune du Jura), mais cela fermente. Et une semaine après, t’as ta soupe de bière, ce truc magique alcoolisé qui pétille. T’as plus qu’à la boire en célébrant Ninkasi.
A Sumer, les tavernes sont des lieux plutôt louches et sombres. On y trouve les Bukowski et les Dieudonné de l’époque. Tu te sens chez toi. Comme d’hab, tu commandes une binouze. T’es là pour ça. On ne t’en propose qu’une, celle du jour. Elle peut être à base d’orge, d’épeautre, brune, légère, rousse, sucrée, aromatisée au miel, aux épices, mélangée au vin. Pour la payer ? C’est du troc. En échange, tu donnes ce que t’as à offrir. Tu peux donc te retrouver à te pointer au bar avec deux porcins sous le bras car t’es éleveur de cochons. Une fois le deal effectué, on te la sert dans une cruche, avec une paille. Faut s’imaginer le truc, en ce temps, une bière n’est pas fraiche et désaltérante ; c’est une sorte de bouillie d’orge pétillante. Y a pas mal de trucs solides qui flottent. Tu manges en même temps. Du coup, la paille c’est pour aspirer le peu de liquide sucré qui se trouve à la surface.
Une chose est sûre, tu n’es pas là pour la dégustation. D’ailleurs, le type d’à côté de toi, te provoque dans un concours de bites. Qui de vous deux va boire le plus ? C’est comme ça qu’on s’occupe. En plaisantant aussi. Le sumérien de base aime bien les blagues. En voici une qui a fait fureur en son temps : « Le chien mangeant un os dit à son anus : ça va te faire mal ! ». On est loin d’un Coluche ou d’un Haroun, mais on sent le potentiel à développer.
La soirée se passe, les cruches se vident, les esprits, les discussions politiques et les blagues sont de plus en plus stériles. Il est temps de se barrer. Mais il te reste un dernier stop. La prostituée dont t’as croisé le regard en arrivant. Là aussi c’est du troc. C’est la raison pour laquelle t’as ramené un deuxième porcin sous le bras. Tu fais tes affaires en plein air, au coin d’une rue. Avant d’emprunter celle qui rentre chez toi. Bienvenue à Sumer… !